EDITORIAL

Entre Nous…

L’un des plus grands défis de l’humanité au 21éme siècle sur lequel tous les acteurs s’accordent est l’élimination de la faim dans le monde.  Mais là où les divergences existent et persistent c’est la manière par laquelle nous devons y aboutir. Deux grandes visions s’affrontent. La première est celle qui soutient qu’il faut juste produire plus de nourriture soit à travers la biotechnologie ou les intrants chimiques de synthèse pour fournir plus d’aliments à une population en forte croissance. Malheureusement cette vision a montré ses limites car elle a exacerbé les conditions de la faim (pauvreté, manque de démocratie, accès inégal aux facteurs de production en particulier la terre et l’eau). Toutes limites qui compromettent la capacité de l’humanité à nourrir les générations futures du fait de la dégradation soutenue des ressources naturelles. Selon l’organisation des Nations Unies pour l’Alimentation (FAO), cette vision de l’agriculture et son modèle de production plus connus sous le nom d’« agriculture conventionnelle » causent, chaque année, des dommages environnementaux colossaux  qui s’élèvent à 3’000 milliards de dollars.

Une seconde vision, par contre, croit dur comme fer que pour nourrir l’humanité, il faut nécessairement passer par une protection des ressources écologiques essentielles comme la terre, la biodiversité et l’eau. Des ressources à partir desquelles nous pourrons produire continuellement de la nourriture. En conséquence, pour les porteurs de cette seconde vision, l’agroécologie s’avère comme étant l’une des voies les mieux adaptées pour arriver à éradiquer de façon durable la faim sur l’espace planétaire. Cette dernière est une approche systémique de l’agriculture et de l’alimentation qui s’attaquent aux facteurs sociaux, environnementaux et économiques de la faim. L’agroécologie, à travers ses pratiques agricoles, améliore la qualité du sol, perturbe le cycle de vie des mauvaises herbes, des insectes et des maladies, séquestre le carbone et l’azote tout en favorisant la diversification de la production.

Cependant, l’une des critiques portées sur cette forme de conception de l’agriculture et de l’alimentation par certains détracteurs est son incapacité à produire suffisamment pour nourrir le monde. Ont-ils raison ou non ? Mais cette excellente interrogation en appelle une autre puisqu’il est aussi à se poser la question de savoir si cette forme d’agriculture reçoit autant de soutien de la part des pouvoirs publics et des bailleurs de fonds que l’agriculture industrielle. A ce titre, une étude réalisée en 2020 par IPES-FOOD paraît assez édifiante comme réponse. Selon elle, la fondation Bill et Melinda Gates (BMGF), le plus grand investisseur à vocation philanthropique dans le développement agricole révèle que 85 % de ses projets se cantonnait à soutenir l’agriculture industrielle et/ou accroître son efficacité au moyen d’approches ciblées telles que l’amélioration de l’usage des pesticides, de vaccins pour le bétail ou de réductions des pertes-récoltes. Ce qui veut dire que seuls 15% de ses financements vont vers des approches de production non industrielles.

Par contre, poursuit cette même étude, 51 % des projets d’ARD (Recherche Agricole pour le Développement) financés par la Suisse englobent des composantes agroécologiques. Mais aussi que la majorité de ces projets (41 % de tous les projets) comportaient également des éléments de changement socio-économique et politique tels que des conditions de travail décentes et d’égalité des sexes. Donc avant de demander à l’agroécologie d’être aussi productive que l’agriculture industrielle, il faudrait d’abord lui accorder des financements conséquents. C’est pourquoi il serait important que la Suisse sensibilise davantage ses homologues de l’Union européenne (Ue) et des pays africains à suivre sa voie en matière de financements dans le secteur de l’agroécologie.

Par rapport à la productivité de l’agroécologie, une méta-analyse relevant de 40 ans d’études sur 55 cultures pratiquées dans cinq continents a montré que l’agroécologie augmentait sa production agricole de 22 à 35% par rapport au taux de productivité réalisé par l’agriculture conventionnelle/industrielle. Une autre méta-analyse réalisée par Mendoza en 2004 a aussi révélé que les pratiques agricoles diversifiées peuvent améliorer les rendements agricoles de 174% dans les pays en développement comme le Sénégal par rapport aux stratégies conventionnelles de subsistance. Dès lors, il devient évident que la réponse à la question posée ne peut être qu’affirmative. Oui l’agroécologie peut nourrir le monde mais à trois principales conditions : (i) plus de soutien public en termes de financement, (ii) un arrêt de l’accaparement des terres par les grandes entreprises de l’agro-business avec la complicité de certains Etats, et enfin (iii) une réduction sensible des milliards de tonnes de nourriture gaspillés chaque année dans le monde.

Par Djibril Thiam

Coordinateur national

Action de Carême Suisse au Sénégal

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