Les femmes de Mbogayiif veulent en faire une marque de fabrique.
A Soucouta dans la commune de Toubacouta au sud de Foundiougne (région de Fatick), de jeunes femmes, membres de la calebasse de solidarité MbogaYiif, excellent dans la transformation des Arches, communément appelés « pagn » en wolof. Mi-juin, sous la conduite de Mme Yandé NDao, un groupe de jeunes femmes transforme deux bacs d’arches. Malgré les conditions difficiles de travail, ces femmes veulent faire de cette activité une marque de fabrique de leur organisation.
Mercredi matin, un calme plat règne dans le quartier de Soucouta à Toubacouta. Les habitants démarrent timidement leurs activités. Au lieu de débarquement, quelques pirogues qui avaient quitté la veille regagnent la terre avec des bacs remplis de poissons. Non loin de ce lieu, un imposant local clôturé avec du barbelé trône sur le site de transformation des produits halieutiques des femmes de Soucouta. A l’intérieur, des tables pour sécher les produits halieutiques sont bien rangées, de l’autre côté, un appartement composé de plusieurs compartiments sert de lieu de stockage des produits, de vestiaires entre autres. .Présente sur le lieu dès les premières heures de la matinée, Mme Ndèye Yandé Ndao, malgré son âge un peu avancé, émet des appels pour demander aux membres de la calebasse de solidarité de rejoindre les lieux. Au bout du fil, elle lance d’un ton quelque peu menaçant « qu’attendez-vous pour venir, on s’était donné rendez-vous à 9h30mn ».Les minutes s’égrènent, les femmes regagnent le site les unes après les autres. Après les salutations d’usage, la présidente de la fédération And Liguèye de Niombato, Mère Yandé comme l’appelle affectueusement ses membres désigne à chaque groupe les tâches à effectuer.
Le processus de transformation de l’arche
Avant de démarrer l’activité, elles ont enfilé leurs tenues et mis des gants. « La propreté et l’hygiène sont de rigueur. C’est un aspect important dans le processus », souligne Mère Yandé, la présidente du réseau zonal des CDS de la zone de Toubacouta. Des CDS installées par la Fénégie/Pêche, une des organisations partenaire d’Action de Carême Suisse au Sénégal avant d’expliquer le processus de transformation de l’arche. « Après avoir collecté, trié, lavé et pesé les arches, la première étape de la transformation commence par la cuisson. Dans une grande marmite posée sur un feu de bois, les jeunes femmes y mettent un peu d’eau, versent les arches pour la cuisson. De temps en temps, elles remuent le fond de la marmite à l’aide d’un bâton ou d’une écumoire. Au bout de 45 minutes, lorsque la cuisson arrive au point, elles passent à la seconde étape qui consiste à séparer la chair de la coquille à l’aide d’une écumoire. Dans un coin du site de transformation, les arches sont étalées sur des claies pour être séchés durant 48h », a longuement présenté Mère Yandé, qui suit avec beaucoup d’attention le processus.
La récolte et la transformation des coquillages : Arches (pagn), Huîtres (Yokhoss) et Murex (Touffa) dans le Delta du Saloum a toujours été du ressort des femmes. C’est pourquoi souligne Mère Yandé, les jeunes filles sont de plus en plus impliquées afin qu’elles puissent prendre le relais. Parmi ces jeunes filles, figurent des étudiantes. La situation de la COVID-19 avec les restrictions ainsi que les dures conditions d’études dans les universités publiques et privées à Dakar les ont conduit à rentrer au bercail pour accompagner leurs parents dans ce travail. Mariama Sall, Ndèye Bintou Mané, Fatou Diamé et FatouThior ont aujourd’hui intégré la calebasse de solidarité MbogaYiif pour pérenniser l’activité. Mère Yandé se réjouit de voir les jeunes filles s’intéresser à la transformation des produits halieutiques. «Les 50 kg d’arches ont été travaillés de main de maitre. La relève est assurée», dit-elle, l’air satisfait en regardant les produits finis bien faits et destinés à l’autoconsommation et à la vente.
Les emballages et l’autorisation FRA, les obstacles pour accéder les grandes surfaces
Malgré le travail pénible, les bénéfices tirés de la vente sont dérisoires. En effet, les produits secs ne procurent pas assez de marge bénéficiaire aux exploitantes. « Nous avons été obligées d’apporter de la valeur ajoutée avec la mise au point d’un nouveau produit à savoir mettre les produits dans des bocaux. Cette technique s’appelle la marinade ou semi conserve. Elle consiste à immerger les arches et autres produits halieutiques transformés dans un liquide mélangé avec du vinaigre, du sel et autres condiments pour une conservation qui peut durer entre 6 à 8 mois», soutient Mère Yandé, par ailleurs présidente du collège des femmes du CNCR (Conseil National de concertation et de Coopération des Ruraux). La Secrétaire générale de la CDS FatouThior abonde dans le même sens. « L’avantage est que le produit conservé se vend mieux. Le bocal peut être vendu entre 1000 et 2000 F cfa, selon le poids. Notre défi est d’accéder aux grandes surfaces et aux restaurants. L’autre obstacle est d’arriver à avoir des emballages qui pourraient permettre la traçabilité du produit, l’autorisation FRA, entre autres. Nous lançons un appel à toutes les structures qui pourraient nous accompagner en ce sens », lance Fatou.
Zone touristique par excellence, Toubacouta regorge de ressources particulièrement la pêche des crustacés et des coquillages. Les mangroves qui longent tout le fleuve, sont des sites d’exploitation de coquillages et autres produits de mer. Cependant, la surexploitation peut entrainer la dégradation des écosystèmes. Ce qui ne milite pas à la durabilité des mangroves parce que les femmes utilisent du bois provenant généralement de la mangrove. Ces formes d’exploitation risquent d’engendrer des conséquences à long terme. Des idées battues en brèche par Mère Yandé. En effet, selon la présidente de l’union locale de Toubacouta, les populations sont conscientes de l’importance de leurs activités. A cet effet, elles ne ménagent aucun effort pour participer à la pérennisation de leurs actions. « Nous faisons régulièrement du reboisement de la mangrove. En plus de cette activité, dans la zone, nous procédons au repos biologique. Actuellement, nous y sommes. Nous n’allons reprendre nos activités de cueillette que vers le mois de janvier ou février prochain. Toutes ces stratégies sont respectées par la population car il y va de notre intérêt. Nous nous devons de protéger la ressource et son environnement, sinon demain qu’allons-nous réserver pour la génération future», s’interroge mère Yandé.
Ababacar GUEYE